Marie-Dorothée

de Croÿ (Princesse Mimi)

Histoire

Poèmes

Chansons

Livre

Festivals

Studio

le Manoir

Témoignages


La tragique journée

du 4 septembre 1945

A Saint-Benin d’Azy

D’après l’allocution de l’Abbé Pierre Chamouard, Curé-Doyen.
Complétée par les témoignages des otages.


... Les personnes qui ont été appelées à agir ne l'ont pas fait en leur nom, mais au nom de l'idéal que leur fonction représentait à des titres divers, mais tendant au même but : le Salut de leurs frères.
Je vous apporte très simplement une vue d'ensemble des événements de lundi tels qu'ils se sont passés.
En dépit de la sécurité trompeuse dont elle se leurrait (On avait cru et proclamé Saint Benin d’Azy définitivement libéré) notre population a connu, le vendredi 1er septembre, et surtout la lundi 4 septembre, deux retours imprévus de l'ennemi qui auraient pu l'ensevelir dans les ruines et dans la mort comme d'autres localités nivernaises.

Le vendredi 1er septembre, dès 7 heures du matin, Azy était occupé par une colonne allemande paraissant solidement organisée et puissamment armée. Dès le premier instant, une initiative heureuse (Initiative prise par S.A.S la Princesse de Croÿ-Solre.) faisait connaître à un officier que la population était calme. Une décision rapide enlevait la trace des imprudences commises la semaine précédente. Dans l'entrevue que j'eus au cours de la matinée avec le commandant du détachement pour demander que la population n'eut pas trop à souffrir de cette nouvelle occupation, il me déclara qu'il serait correct dans la mesure où le seraient les habitants, mais qu'au moindre incident il répondrait par le canon. Il me donna toutefois la promesse de ne pas prendre de sanctions contre le pays sans me faire appeler dans le cas où se produirait, un incident imprévu. Mon devoir était de vous prévenir, je l'ai fait, et dimanche dernier, ici même, je vous ai demandé de rester calmes et dignes dans les différentes éventualités qui pourraient encore se présenter.

Pourquoi faut-il que le lendemain même, au passage d’une nouvelle colonne, éclata un incident très grave dont les conséquences auraient pu être la mort de beaucoup d'entre nous et la destruction du pays ?

Au sujet de cet incident, il ne m'appartient pas de dire ici, ni par qui, ni pourquoi, ni où, ni comment il s'est produit.

Donc, lundi matin à 8 heures, dans le bourg gardé à toutes ses issues, s'engageait une colonne ennemie. Au milieu de la grand-rue éclataient des coups de feu faisant huit blessés et provoquait une réaction immédiate des soldats allemands dont les mitrailleuses crépitaient en direction des maisons d’où l’on semblait avoir tiré. Première réaction suivie bientôt d'une autre plus terrible. Sous la conduite de leur chef, les soldats encadrent la place de l’Eglise, douze otages ont été arrêtés, au premier rang desquels le maire (Clément Theuriot) et l’institutrice (Mlle. Hélène Rozières), et groupés à proximité du monument aux morts, pendant que vont s’effectuer dans les maisons suspectes les perquisitions sous la menace du canon et des mitrailleuses :
Mlle. Hélène Rozières a été arrêtée la première à son domicile et obligée de conduire les soldats chez le Maire, qui bien qu’il n’exerçait plus les fonctions, accepta les responsabilités municipales devant l’ennemi. Dirigés brutalement au cantonnement du Vieux-Château, ils ont une attitude digne, et ferme devant la violence inouïe du commandant. Pendant qu’on les ramène au bourg, les autres otages sont arrêtés sur la route ou dans les maisons au hasard : Guy Rousseau (20 ans), Edmond Veau (2 enfants), André Bienvenu (18 ans), Chef (étranger de passage), Paul Dugué (5 enfants), Marcel Rosette, mutilé du travail (2 enfants), Charles Human (4 enfants), ancien prisonnier de guerre, qui parle allemand et saura donner des explications habiles et efficaces, Mlle. Jeanne Glachet, artiste peintre, Pierre Pigenet, blessé de guerre et enfin Etienne Theuriot (17 ans) que deux sentinelles sont allées prendre au domicile de son père.

Minutes angoissantes. L’officier allemand est exaspéré, furieux, il regarde les otages et on entend les affreuses paroles : « Je vais faire fusiller ces canailles ; ces bandits méritent d’être fusillés. »

Pendant ces instants tragiques, leur attitude est magnifique. Calmes devant les mitrailleuses braquées sur eux, un sentiment profond de foi et d’union s’élève de leur âme. Ils disent une prière, se recommandent à Dieu, s’embrassent et attendent la mort à laquelle ils vont échapper par miracle.

Les perquisitions sont terminées et n’ont pas donné de résultat. Les otages sont prévenus qu’ils devront se rendre à 20 heures, à l’exception des femmes, au cantonnement du Vieux-Château, sans quoi le pays sera incendié. L’heure est tragique. Tout semble perdu. Aucune intervention ne paraît possible. Aucune personnalité, si grande que soit sa situation sociale ou son autorité morale, n’a chance d’être entendue. Les sentinelles ne laissent passer personne. Il faut autre chose. Et cette « autre chose » nous fut réservé par la Divine Providence.

La Société Internationale de la Croix-Rouge de Genève a des sections nationales dans tous les pays et permet aux belligérants de prendre contact entre eux pour le plus grand bien des prisonniers et des blessés sans rien abdiquer de leur patriotisme particulier.

La Croix-Rouge Française est noblement représentée ici par sa déléguée cantonale, S.A.S la Princesse de Croÿ-Solre, que les sentinelles ont laissé passer en raison de son uniforme d’infirmière, arrivait en ce moment sur la place et abordait le chef allemand, lui en imposant tout de suite et le dominant même. Intervention décisive qui en permettra d’autres et sauvera le pays.

D’urgence, il faut s’occuper des blessés. Le détachement allemand n’a pas de médecin. Un des nôtres est appelé (Le docteur Octave Franck Bernard) qui se rend en hâte auprès des blessés qu’on a couché sur la pelouse du Vieux-Château. Avec un dévouement total, il leur prodigue les premiers soins. Deux d’entre eux doivent subir une intervention rapide pour être sauvés. Il les conduira seul à l’hôpital de Nevers dans sa voiture personnelle, sous le pavillon de la Croix Rouge (Cette colonne allemande ou plutôt, ce tronçon de colonne, suffisamment muni de mitrailleuses, de mortiers et de plaques incendiaires pour nous faire beaucoup de mal, n’avaient plus à sa disposition les services indispensables à une troupe en campagne. En particulier, pas d’ambulance automobile pour l’évacuation des blessés, d’où le geste généreux du docteur).

Le blessé le plus gravement atteint est catholique, c’est un soldat d’origine polonaise, la médaille de la Sainte-Vierge qu’il porte sur la poitrine ne laisse aucun doute ; il peut mourir d’un moment à l’autre, il demande les secours religieux, et bientôt, à la bonté humaine de l’infirmière et du médecin, s’ajoutera la charité divine du prêtre qui va purifier cette âme et la plonger dans la paix du Christ qui aima tous les hommes. La cérémonie de l’Extrême-Onction, que tous les assistants ont suivie dans un silence respectueux, est terminée. Le commandant traverse la pelouse, arrive au chevet du blessé, se penche sur lui et lui parle doucement. Il paraît plus calme et plus apaisé.

Néanmoins, l’heure est toujours lourde d’angoisse. Un officier vient de me dire que la décision de fusiller les otages et de brûler le pays n’est pas reportée. Je m’élève avec force contre une mesure injustifiable qui va semer la mort dans une population innocente. Le Maire, prévenu de ce que je viens d’apprendre, procède à une enquête sur l’attentat du matin, dont ensemble nous apporterons les résultats vers 5 heures. Les conclusions sont formelles, ce n’est pas un habitant du pays qui a tiré.

Quelques instants après, revenu de Nevers où il a été mitraillé sur la route par une escadrille d’avions et a échappé par miracle à la mort, le docteur Bernard fait savoir que le blessé a été opéré par un chirurgien français et qu’on a bon espoir de le sauver. (Il est mort quelques jours plus tard, le 15 septembre, après une seconde opération)

Cette bonne nouvelle accentue chez nos ennemis la détente et l’apaisement ; il ne sera plus question de fusiller ni d’incendier. La charité, le dévouement à ses soldats blessés ont paralysé dans l’âme du chef l’esprit de vengeance.

Nous le constaterons quand à 20 heures, dans le cantonnement du Vieux-Château, les otages arrivent au rendez-vous fixé par le commandant. Sa physionomie est moins rude, sa voix plus humaine. Il fait connaître sa décision : cinq otages vont être libérés (Edmond Veau, André Bienvenu, Chef, Pierre Pigenet et Marcel Rosette) ; les cinq autres (Paul Dugué, Charles Human, Etienne Theuriot, Guy Rousseau et André Bienvenu) sont retenus pour couvrir la colonne pendant l’étape de nuit, marche épuisante de plus de 40 kilomètres sous le danger mortel des embuscades, épreuve pénible qu’ils subiront avec courage et avec foi. Placés à découvert en avant de la colonne, sous la menace d’être fusillés en cas de défaillance ou de tentative de fuite, ils marcheront toute la nuit à bonne allure, pressés par le rude commandement souvent répété : « Plus vite ! » Ils évitent les dangers des embuscades dans la traversée des bois, en parlant haut et clair pour prévenir les camarades de la Résistance ; ils endurent la fatigue, la soif ; ils quittent leurs chaussures qui les gênent et marchent pieds nus jusqu’au terme de la dure épreuve qu’ils ont supportée vaillamment, « à la française ».

A proximité de Château-Chinon, on leur annonce leur mise en liberté et ils envisagent avec une joie indicible la possibilité du retour immédiat à Saint-Benin.

Retour qui s’effectuera par étapes dans l’accueil le plus touchant qu’on leur réserve dans les localités où ils passent.

Et c’est dans la soirée du mercredi 6 septembre, l’arrivée à Saint-Benin.

Sur la route de Magereuil, ils sont reçus par les habitants du bourg dans l’allégresse générale, dans la ferveur patriotique et religieuse de la plus grande émotion.

Oubliant leur extrême fatigue, ils remercient avec effusion ceux qui ont contribué au salut du pays et tous les habitants dont la sympathie leur est si précieuse.

Cette manifestation couronne dignement ce retour des otages après les angoisses vécues depuis deux jours.

Saint-Benin ne saurait désormais oublier les dangers courus, ni les mortelles inquiétudes éprouvées, ni la protection providentielle dont il a été favorisé…


Les mêmes faits sont relatés dans le livre autobiographique de MD. De Croÿ :
« La Dame de Valotte »


Quelques temps plus tard, un autre contingent d'allemands arriva au petit matin dans le village d'Azy, cherchant une planque, ayant voyagé toute la nuit.

En passant dans la rue, un homme tira sur le convoi, de la fenêtre d'une boulangerie. La riposte des allemands fut rapide avec salves et grenades. Deux mitrons, âgés d'une dizaine d'années, pris de panique, sautèrent par les fenêtres arrières de la boutique. Ils coururent jusqu'au château. Leurs appels angoissés, au bas du perron, réveillèrent le Prince et la Princesse, qui descendirent aussitôt. Après de brèves explications, les enfants apeurés se cachèrent dans le lit de la Princesse.

Sans perdre de temps, le Prince et la Princesse s'habillèrent et se rendirent à pied au village. Déjà des sentinelles renvoyaient tout le monde dans les maisons, et ils furent donc refoulés. De retour au château, la Princesse s'habilla rapidement en infirmière avec des moyens de fortune tels que torchons de vaisselle et badges de la Croix Rouge, puis elle repartit seule à pied disant aux sentinelles qu'elle était attendue par le médecin comme assistante.

On l'autorisa à passer. Sur la place du village, elle vit une douzaine de personnes alignées devant l'Eglise, prêtes à être fusillées en représailles. Elle entendit l'ordre du commandant de faire brûler le village. Des blessés allemands étaient étendus par terre.
Elle demanda à parler au commandant. Celui-ci n'était pas, heureusement, un jeune officier.
- «Pourquoi tuer des hommes alors que les vôtres, blessés, risquent de mourir sans soins !» lui dit la Princesse, grâce à sa connaissance de la langue allemande.
Il répondit qu'il n'avait plus ni médecin, ni pansement. La-dessus, la Princesse lui offrit son aide, pour venir au secours des soldats blessés.

Dans le grand salon du château, des lits de camp et des pansements avaient été préparés pour, éventuellement, les gens du maquis.
- «Je vais chercher un docteur et l'équipement nécessaire, mais je vous en prie, en échange, d'épargner les otages et le village !» dit la Princesse au commandant.
L'accord fut conclu, à condition que les otages n'en fussent point informés.
Un motocycliste allemand fut chargé de ramener la Princesse au château et la fit monter à l'arrière de la moto.

Pendant ce temps, la famille, inquiète, attendait en bas des marches du perron. Malgré l'angoisse, tous furent pris de fou rire, voyant leur mère cramponnée sur l'enfin, serrant le chauffeur fortement, elle qui n'était jamais montée sur une bicyclette ! Et chacun pensa : voilà pour elle un vrai acte de courage.

Entre-temps, le contingent allemand élut domicile dans le parc du vieux château d'Azy, où un nombre important d'arbres permettait un meilleur ombrage.

La Princesse et sa fille Mimi se rendirent donc dans le parc voisin des cousins. Le Vicomte Charles Benoist d'Azy, propriétaire du château du Vieil Azy était absent, étant sur les plages de Dunkerque, en attendant de passer en Angleterre avec ses hommes. Il est revenu en France avec les hommes de sa batterie, qu'il commandait. Ils furent bombardés à Rennes ; ne restèrent vivants que lui et trois de ses hommes !

Lits, pansements et médicaments furent acheminés et le médecin du village, le Docteur Franck Bernard fut dépêché.
Deux des soldats allemands étaient gravement blessés par balles dans le ventre. L'un d'eux, d'origine polonaise, demanda un prêtre catholique.

Le docteur estimant que les deux hommes devaient être opérés d'urgence à l'hôpital de Nevers, repartit chez lui chercher un véhicule. Il visitait généralement ses malades à cheval ou à bicyclette, mais au fond de son garage, il avait encore une vieille auto datant d'environ 1900. C'est après bien des efforts qu'il réussit à la faire démarrer à la manivelle. Les allemands lui procurèrent de l'essence.

En attendant, le commandant permit à la Princesse d'aller chercher le curé, mettant même un véhicule militaire à sa disposition, ainsi qu'un chauffeur. C'est Mimi qui fut envoyée, sa mère étant trop occupée aux soins à donner aux blessés.

Le village était désert, les habitants cachés dans leurs caves épiant derrière les volets. Ils furent étonnés de voir «Princesse Mimi» dans une voiture militaire ennemie, alors que les jours précédents, ils la voyaient passer en jeep avec des anglais ou en traction avec des maquisards.

Le curé administra le blessé catholique et fut ensuite reconduit chez lui.

Dès que le docteur fut de retour avec sa guimbarde, les deux blessés graves furent transportés dans l'auto, tant bien que mal, recroquevillés à l'arrière. Il fallut trois heures au docteur pour parcourir vingt kilomètres, car, voyant circuler une voiture civile sans étoile sur le toit, les avions alliés descendaient en piqué pour la mitrailler. Ainsi à chaque attaque, le docteur devait rouler à vive allure, protégé par les arbres de la forêt. Arrivé à l'hôpital, l'un des deux hommes mourut ; l'autre fut sauvé.

Dans le parc du Vicomte Benoist d'Azy, les autres soldats blessés étaient toujours l'objet de soins, quant aux valides, ils se reposaient ou se promenaient. Soudain, la gardienne du château vint signaler qu'un groupe d'entre eux s'étaient introduit dans la demeure.

Le commandant dit à la Princesse qu'il avait d'autres soucis et qu'elle n'avait qu'à s'en occuper elle-même. Elle chargea sa fille de faire sortir ces hommes de la maison de son cousin.
Accompagnée de la gardienne, Mimi entra dans le château. Les soldats allemands étaient partout. Montant à l'étage où un groupe déambulait, Mimi aperçut un plateau garni de pots de confiture. N'hésitant pas, elle ouvrit quelques pots, y plongea les doigts, avalant de grosses lampées. Après quoi, rassasiée, mais ayant un peu mal au cœur, elle se souvint de sa mission.
Levant les yeux, elle vit une douzaine d'hommes qui la contemplaient les poings sur les hanches ; la gardienne du château la fixât, terrorisée et suffoquée que «Princesse Mimi» puisse manger des confitures, alors que, pensait-elle, l'on risquait d'être fusillé à tout moment. D'une voix forte et Hitlérienne, Mimi cria «raus, raus» et, à sa surprise, elle fut obéie aussitôt. La maison libérée, la gardienne donna un tour de clé.

La journée s'écoula lentement. Le commandant fit atteler un petit cheval et ramena la Princesse et sa fille à l'autre château, où il lui offrit une bouteille de schnaps (eau de vie), puis conversa avec le Prince, évoquant la situation.

- «Avant tout, vous êtes un soldat et un soldat ne tue pas de civils» lui dit le Prince.

La nuit tombait et le commandant repartit rejoindre son unité. Les paroles du Prince furent le dernier argument pour que les otages et le village fussent épargnés.

L'ordre avait été donné aux otages de se présenter à l'entrée du parc à la tombée de la nuit. Croyant qu'ils allaient être fusillés, ils s'y rendirent habillés de leurs costumes et souliers du dimanche, afin de mourir beaux. Le commandant fidèle à la parole donnée à la Princesse, et impressionné par l'assertion de son époux, renonça à fusiller ces hommes et à faire brûler le village. Il n'hésita pas à désobéir aux ordres de représailles des hautes autorités nazies.
Les otages furent emmenés en colonne pour la marche de nuit. Ils firent plus de quarante kilomètres à pied, puis furent libérés. Après s'être reposés et restaurés dans un village, ils rentrèrent exténués et les pieds en sang.
Leur premier geste fut de monter au château pour remercier le Prince et la Princesse…